Habsheim: 1988 - 2008, 20 ans ont passé!

 
 

Samedi 28 juin 2008, sur l’aérodrome de Habsheim, bien plus d’une centaine de personnes dont des dizaines de personnalités de la région (députés, sénateurs, conseilleurs généraux et maires) se sont jointes aux victimes rescapées pour célébrer la 20ième commémoration du crash.

Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la défense et aux anciens combattants, Jean Cyril Spinetta, Pdg d’Air France, le s/Directeur de la DGAC et le juge-doyen Germain Sengelin se trouvaient au premier rang.

Jamais, au cours de toutes les années passées, un tel parterre ne s’était trouvé réunit pour se recueillir devant les 3 malheureuses victimes de l’accident.

Jusqu’à présent, le crash de Habsheim était celui dont on évitait de parler et qu’on tentait systématiquement de sortir des statistiques aéronautiques par toutes sortes d’artifices. Ce fut ainsi un des plus célèbres crash judiciaire.

Cette cérémonie du 20ième anniversaire a donc été en quelque sorte la reconnaissance finale d’un drame humain et la fin d’une ségrégation pour les tenants des causes du crash autres que celles de la raison officielle.

 

Dépôt d'une gerbe au pied de la stèle du souvenir par le Président et le vice-président de l'association des victimes.

La FENVAC (Fédération Nationale des Victimes d'Accidents Collectifs) s'est jointe aux victimes de Habsheim en déposant également une gerbe.

Entre Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat et son patron Jean Cyril Spinetta, Marie-Jeanne Chavenon, aujourd'hui hôtesse de l'air à "Air France" était hôtesse à "Euralair" en 1988 et se trouvait dans l'avion. Renfort bienvenu, elle a pu aider l'équipage pour l'évacuation et ensuite secourir les blessés.

Rassemblement des victimes et des invités à l'aéroclub du Haut-Rhin, celui-là même qui avait organisé le meeting du 26 juin 1988.

Dans le hangar de l'aéroclub aménagé pour la cérémonie, JM Bockel prononce un discours et fait l'éloge de Jean-Marie Schreiber le président de l'association des victimes du crash de Habsheim avant de lui remettre les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur.

C'est au titre de vice-président de la FENVAC  qu'il a été décoré.

Jean-Marie Schreiber prononçant son discours

 

Dans l'ordonnancement et l'organisation de cette journée, selon probablement des "conseils extérieurs" , JM Schreiber avait repoussé l'intervention du juge Germain Sengelin après toutes celles des autres intervenants. Ainsi JC Spinetta, JM Bockel et bien sûr JM Schreiber avaient quitté les lieux, probablement pour ne pas écouter celui qui a été à l'origine de "l'Affaire de Habsheim". Il fallait pour ces trois personnes rester "en bonne compagnie" loin de tout percement de l'abcès du crash judiciaire. Seule a compté pour le Président de "l'association des victimes et rescapés du crash de Habsheim" la légion d'honneur qui lui a été attribué pour une raison qui reste bien mystérieuse pour l'ensemble des victimes.

De gauche à droite: Marie-Jeanne Chavenon, hôtesse, René Meyer, ancien président fondateur de l'association, Jean-Claude Boetsch, vice-président actuel, Germain Sengelin, juge honoraire et Michel Asseline.

 

D'autres personnes ont pris la parole lors de cette commémoration,

Ainsi, le Président d'AIR FRANCE, Jean-Cyril Spinetta a dit vouloir tourner la page, au delà de toutes les passions engendrées par cet accident. Constatant lui aussi que bien des choses avaient changé dans le traitement des victimes ainsi que dans les rapports entretenus entre elles et les compagnies aériennes. Air France avait de son côté beaucoup appris dans la gestion humaine de ces dossiers, a-t-il tenu à préciser.

En venant de Paris, le matin, il était passé par le Mont Sainte Odile, a-t-il dit très discrètement en aparté.

 

Le Président fondateur de la FENVAC, Jacques Bresson a été touché dans sa famille lors de l'accident de la gare de Lyon, le lendemain du crash de Habsheim. Il a rappelé les avancées judiciaires obtenues pour toutes les associations de victimes. Ainsi l'Association ECHO a pu se porter partie civile lors de son procès.

 

Voici les textes des allocutions de JC Boetsch en ouverture de cérémonie et celle de G Sengelin, juge honoraire. Les interventions de MM. JM Bockel et JC Spinetta ont été improvisées.

Intervention de JC Boetsch

Qui aurait pensé ce 26 juin 1988 que 20 ans plus tard, nous nous retrouverions ici pour commémorer un accident. Personne non plus, à bord de cet Airbus parti pour une promenade au dessus des Vosges n’a imaginé ce dimanche après-midi que sa vie allait basculer et être marquée pour toujours. Pour de nombreux passagers, c’était un baptême de l’air, la toute première fois qu’ils mettaient le pied dans un avion.

Mais il s’est surtout déroulé ce jour là un véritable miracle puisque nous sommes sortis majoritairement indemnes de cet avion en feu. 133 sur 136. Seules 3 malheureuses victimes n’ont pas pu quitter l’avion. Pourtant les premières informations des médias parlaient de plus de 50 morts et la planète entière en était informée. D’ailleurs, qui ne se souvient de ce qu’il faisait et où il était ce jour là au moment où il a appris le crash de l’Airbus près de Mulhouse ?

Dans la soirée, à l’hôpital du Mönchsberg, blessé moi-même, je me souviens encore, très ému, de l’élan de sympathie de Jean-Marie Bockel, alors député, qui accompagnait le Ministre des Transports Louis Mermaz. Il me croyait mort car comme bien d’autres passagers, dans l’excitation de l’évènement, j’avais quitté l’aéroclub sans laisser d’adresse.

Dans les mois qui ont suivis, au milieu d’un déchainement médiatique unique en France pour un accident d’avion, les victimes se sont réunies en association à l’initiative du père d’un jeune passager, René Meyer, notre premier Président, que je salue ici.

Mais nous étions livrés à nous-mêmes, nous n’avions aucun modèle, aucune référence et il a fallu défricher le terrain pour être reconnus et indemnisés. La justice et les experts nous ignoraient. On nous faisait miroiter des indemnités fabuleuses pour nous repousser quelques mois plus tard.

De son côté, Air France, afin de nous réconcilier avec l’aviation, nous a offert un beau voyage vers le soleil ainsi que des billets d’avion pour oublier ce crash. Un crash qui a malgré tout hanté les nuits de nombreuses personnes durant des années. Il a fallu l’accepter.

Mais notre plus grand dépit, c’était d’être tenu à l’écart des recherches des causes de l’accident. Comme toutes les victimes de TOUS les accidents, nous voulions savoir pourquoi et comment alors que personne ne nous informait. Mais il n’était pas prévu que les victimes soient partie prenante dans les enquêtes.

Nous avons décidé alors de nous rapprocher de notre Commandant de bord, Michel Asseline pour pouvoir comprendre et aussi suivre les dossiers. Un geste et une attitude qui nous ont été bien souvent reprochés !

Notre histoire, celle de l’association, se confond bien entendu avec celle du dossier judiciaire du crash de Habsheim.18 années de procédure, 2 procès en diffamation, 2 autres au pénal, 4 juges d’instruction dont le premier, Germain Sengelin, n’est certainement pas étranger à ce d’aucun ont appelé « l’affaire de Habsheim ».

Malgré les insatisfactions qu’il existe bien entendu de tous côtés, la page est à présent tournée. Le crash de Habsheim fait partie des statistiques de l’aviation française.

Mais que nul n’aie garde de l’oublier, il y a bien eu de graves erreurs de commises tout au long de ces années et la tentation existe bien parfois de les renouveler.

Je vous remercie

 

 

 

Discours du juge Germain Sengelin

 

 

En ce jour de grande tristesse où nous commémorons le crash tragique d'il y a 20 ans et rendons hommage aux victimes disparues et à celles qui ont survécu, l'acteur judiciaire que j'ai été entend tout d'abord apporter sa contribution à ce devoir de mémoire pour ensuite développer quelques constatations et observations de la branche nouvelle du Droit Institutionnel qu'est devenue la VICTIMOLOGIE.

En effet et comme nous le savons tous, la douleur des victimes et des familles en deuil est incommensurable et les pouvoirs publics, dont le pouvoir judiciaire, ont le devoir sacré de contribuer à l’apaisement de cette douleur en accordant aux victimes et à leur famille l’attention et la considération qui leur revient de droit et ceci, notamment, par la communication des informations qui s’imposent sur les causes du sinistre et sur les responsabilités encourues par les protagonistes privés ou publics impliqués dans l’enchainement fatal des causes.

Quel a été dans votre cas le suivi immédiat puis à long terme revenant aux Pouvoirs Publics et en particulier aux Institutions Judiciaires en la personne des Procureurs de la République et des Juges d'Instruction successivement en charge du dossier?

Le moins que l’on puisse dire est qu’au crash judiciaire s’est surajouté, en tout cas au départ de l’enquête, un « crash judiciaire », le qualificatif le plus approprié étant celui de « crash institutionnel » qui a gravement porté atteinte aux intérêts des victimes que vous êtes.

Je ne m’étendrai pas sur les manifestations stériles de ces cafouillages institutionnels, sauf pour rappeler qu’à peine le crash survenu, un Ministre en exercice et un magistrat en exercice ont déjà cru pouvoir désigner le coupable, je veux parler du pilote, en innocentant du même coup et d’office l’avion et ceux qui l’avaient conçu et mis en service.

Or nous savons tous que les catastrophes provoquées par l’homme qui joue à l’apprenti sorcier sont, sauf exceptions rarissimes, le résultat de causes multiples mélangeant des facteurs humains et des facteurs techniques.

C'est ainsi qu'ont été générées, depuis l'avènement de la civilisation industrielle, de nombreuses pertes humaines ou dommages corporels irréversibles causés tantôt par la négligence ou des incompétences humaines, tantôt par la mise en œuvre de process techniques insuffisamment maitrisés, tantôt encore par une combinaison de ces différents facteurs.

Concrètement je fais référence aux effets dévastateurs en pertes de vies humaines ou en blessures invalidantes, des erreurs ou attitudes triomphalistes qui ont été à l'origine, entre autres, des drames causés par:

- les pathologies mortelles ou gravissimes qui ont infesté les transfusés du sang contaminé

- l'explosion de produits chimiques survenue il y a peu à Toulouse

- les fuites de gaz en provenance de conduites obsolètes telle la tragédie survenue récemment à Mulhouse

- les accidents ferroviaires ou ferro-routiers tels ceux qui endeuillent actuellement les familles de victimes

- les déstabilisations de tribunes déficientes qui ont endeuillé le monde sportif

- la rupture récente d'une passerelle destinée à permettre à des visiteurs de se rendre à bord d'un paquebot de prestige

la liste de ces drames demeurant malheureusement ouverte....

Il est évident que les accidents tragiques survenus dans d’autres secteurs d’activités ne sauraient servir d’alibi aux dirigeants du secteur aéronautique et que bien au contraire, ils sont eux aussi soumis à d’impérieuses obligations de prévention dans le domaine sécuritaire.

C’est très précisément ce qui a été fermement rappelé par les Procureurs, les Juges d’Instruction et les Juridictions de jugement en charge du dossier de la catastrophe du Mont Sainte-Odile et qui ne l’a été qu’incidemment et par intermittence dans le dossier du crash de Habsheim.

En définitive et pour clore mon propos par un constat désormais et heureusement suranné, certaines responsabilités ont, pour le drame survenu ici, été clairement cernées, mais pas TOUTES….

 

 

Sur le site du CERDACC, le journal des catastrophes, http://www.jac.cerdacc.uha.fr/jac/ vous pourrez lire l'excellente interview de JM Stoerkel, premier journaliste arrivé sur les lieux de l'accident, texte que nous reproduisons ici.

http://www.iut-colmar.net/internet/recherche/Jcerdacc.nsf/91fe2b771e4d47c1c12570bc004f07f3/0291e48f21d6f9b4c125747c0040615e?OpenDocument

 

 

L'INTERVIEW DU MOIS par Jo Laengy

JEAN MARIE STOERKEL, JOURNALISTE

20 ANS PLUS TARD, LES PREMIERES HEURES D'APRES CRASH...

Fait- diversier au sein de la rédaction mulhousienne de notre confrère l’Alsace, Jean Marie Stoerkel se trouvait ce fatidique 26 juin 1988 chez lui pour une fois, un dimanche classique où il était de repos. Ce jour là, il ne se doutait pas une seconde de ce qui allait arriver. Mais vingt ans plus tard, il se souvient avec précision de nombre de faits. Il a accepté d'en évoquer pour le JAC, en mémoire des victimes de cet accident aérien qu’un juge a qualifié de « crash le plus médiatisé du monde ».

« Ca se sait très vite. J’ai eu un ou deux coups de fil. Un confrère du journal avait sa copine dans l’avion. Et je savais que Jean- Marie Schreiber un confrère également de l’Alsace y était. A peine l’avion crashé, un quart d’heure plus tard, j’étais sur place. Quand je suis arrivé sur site, ça brûlait encore. Les pompiers étaient sur place mais il n’y avait rien d’organisé.

Je suis entré dans la forêt. Il n’y avait personne. Pas de contrôle, rien. Je vois les pompiers qui me disent « écoute, il y a au moins cinquante morts, n’approche pas, ça peut péter encore. Il y a des blessés partout. Des scènes de panique quoi. La question était de savoir s ‘il y avait des survivants. Ce qui m’a marqué le plus peu de temps après, c’était le fait de voir sous la neige carbonique une forme humaine. C’était une des victimes recouverte de neige, tout près de la carcasse de l’avion. On pouvait y accéder sans problème. Je voyais les pompiers que je connaissais depuis longtemps. Mon confrère Daniel Schmitt photographe qui était aussi sur place me dit :« attends, ne bouge pas il y a au moins cinquante morts ». Le soir quand on nous a dit qu’il n’ y avait que trois morts, je n’y croyais pas !

Un moment donné, il y a eu une scène incroyable. Le préfet arrive. Il portait un polo vert à la marque du crocodile. Le chauffeur gare la voiture. Le préfet en sort et me dit, très vieille France « comment allez- vous mon cher ami ? Et il me dit encore : « il faisait beau, j’étais sur la terrasse de la préfecture, les oiseaux chantaient lorsque mon chauffeur est venu me dire que l’Airbus s’est crashé. Et j’ai dit : quel Airbus ? ». C’est une scène qui m’est restée.

Un autre fait que j'ai gardé en mémoire c'est lorsque Jean- Martin Jaeglé substitut de permanence arrive et me dit : » tu ne sais pas où il y a un téléphone ? Il faut que j’appelle le patron ( le procureur de la République ndlr). Il n’y avait pas de téléphone portable à l’époque. Alors j’ai emmené Jean- Martin Jaeglé jusqu’à la voiture du préfet qui était équipée d’un téléphone. Il a pu appeler son patron.

Une bonne heure après le crash, il y avait déjà des listes de personnes affichées au « Petit Prince », le restaurant de l’aérodrome érigé en PC. Les gens de l’aéro-club avaient fait des listes des personnes qui s’étaient manifestées et qui étaient dans l’avion. On ne savait même pas exactement combien il y avait de passagers dans l’avion. La question était : qui était dans l’avion et qui était vivant, qui était blessé, qui était transporté dans un hôpital. C’était le vrai bazar.

On partait sur un bilan de cinquante morts. Je me souviens avoir vu Asseline après. Je ne le connaissais pas. Il discutait. Mais au départ je ne savais pas s’il était pilote ou quoi.. Je l’ai entendu dire: » j’ai remis les gaz et ça n’a pas marché ». J’étais retourné au "Petit prince" pour savoir si les collègues à bord étaient saufs. Et lorsque j’ai voulu retourner vers l’épave il y avait des cordons de gendarmes et de policiers qui en interdisaient l’accès. C’était environ une heure et quart après le crash. Il y avait un hélico qui tournait. Mais d’où venait-il ? Je ne sais pas. Et j’ai vu des gens d’Airbus en tenue grise.

Le soir à la conférence de presse vers 19h, Louis Mermaz ministre des Transports et Tennenbaum le patron de la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC ) ont annoncé qu’il y a eu trois morts. Et après celle-ci, nous sommes retournés sur place. On a pu se placer sur un monticule et c’est là que nous avons assisté à la scène suivante : Tennenbaum dit « on emmène les boites noires" et j’entends le procureur Wolff essayer de balbutier quelquechose. Ce à quoi Mermaz dit : « Ah M. le procureur, on emmène les boites noires ». « Oui M. le Ministre « répond le procureur . A ce moment là, Jean Jacques Weber député-maire de Sausheim me regarde et me dit : « tu as vu ? La magouille vient de commencer »…

Le soir, de retour à la rédaction, j’ai commencé à écrire. Il était environ 21h. Et j’y suis resté jusqu’ à presque minuit. Le lendemain, lors de la conférence de presse du procureur, il a été dit que l’avion était » trop bas, trop lent, trop tard. » Encore une phrase qui m'est restée. On a voulu nous faire comprendre que c’était une faute de pilotage. Le départ de la polémique…".

 

 

Les articles de la presse régionale du dimanche 29 juin 2008