Charter en deuil

 
 

Le 10 février 2006 disparaissait Sir Freddie Laker, le pionnier des vols à bas tarifs, le précurseur des "low cost" actuelles. Dès 1971, il lance l'idée de vols Londres-New York trois fois moins chers que British Airways. Le "Skytrain" lancé en 1977 ne va tenir que jusqu'en 1982 car toutes les compagnies régulières, tant européennes qu'américaines se liguent contre lui et finissent par le faire tomber.

             

                  

                 

Basée sur l'exploitation de DC10 "haute densité" pour des vols réguliers sur l'Atlantique nord, la compagnie "Laker" exploite aussi des BAC 1-11 en vols charter sur le bassin méditerranéen. En 10 ans, les passagers transportés par "Laker" vont passer de 10 000 à 1,1 million. Freddie Laker deviendra même "Sir Freddie Laker", anoblit par la reine d'Angleterre.

         

Pour "tuer" Laker, au départ des aéroports américains, les guichets de grandes compagnies vendent des billets à 1 $ quelques heures avant le départ des avions du "Skytrain", vidant ainsi les avions de Laker.

Première compagnie britannique à commander des Airbus (10 A300), Laker va déposer le bilan, croulant sous une dette de 250 millions £, malgré l'organisation de quêtes populaires et de concert rock pour renflouer la compagnie.

   

Tous les ténors des compagnies à bas tarifs rendent hommage aujourd'hui à ce précurseur. Ryanair, EasyJet, Virgin lui doivent d'avoir créé un précédent il y a 40 ans déjà, à une époque où les "Majors" régnaient en maître et sans partage sur le marché du transport aérien mondial. Aujourd'hui, plusieurs de ces mêmes "Majors" acharnées à la perte de Laker ont disparu de la scène comme British Caledonian, Pan Am, Sabena, UTA, Swissair ou le constructeur Mc Donnell Douglas.

 

Mais gardons nous d'oublier que très rapidement, Sir Laker allait faire des émules et la relève n'allait pas tarder à arriver même en France avec des pionniers presque oubliés aujourd'hui. Je voudrais vous en rappeler deux.

 

Créée en 1975 par un ancien pilote de chasse du groupe "Lafayette" durant la 2GM, la compagnie "Minerve" va rester cantonnée dans  les vols moyens courriers à attendre 5 ans le feu vert de la DGAC pour opérer des vols longs courriers vers les DOM-TOM, chasse gardée de UTA et Air France. Chaque acquisition de nouvel avion va requérir l'aval d'une administration plus portée à protéger les intérêts des grandes compagnies régulières qu'à offrir une alternative aux passagers.

                     

Malgré les autorisations officielles enfin obtenues, les tracasseries administratives vont continuer afin de décourager toute concurrence franco-française, à l'exemple de ce télex envoyé par R.F. Meyer à  la DGAC.

En voulant élargir sa clientèle, Minerve va s'associer avec le Club Med qui finira par devenir majoritaire dans le capital. RF Meyer va perdre les commandes de sa compagnie qui va fusionner avec AOM pour devenir...AOM (Air Outre-Mer Minerve) avant de s'associer cette fois avec "Air Liberté" pour devenir "Air Lib" et finir par disparaître.

 

A l'origine, en 1965, il y a une bande de copains qui veulent voyager moins cher, l'exemple de Laker va bientôt leur montrer que c'est possible. L'association "Le Point Mulhouse" est créée et prend très vite de l'ampleur en Alsace, mais aussi à Paris, Lyon ou Marseille. Elle affrète des vols vers l'Afrique, l'Inde ou l'Amérique du Sud auprès de compagnies charter régulières comme "Balair" en Suisse. Mais lasse de dépendre des autres, en 1976 l'association va créer une compagnie charter long courrier et un B707 est acheté en pool avec la chambre de commerce des Antilles, mais c'est l'échec financier.

           

Maurice Freund, le président du Point                                                                    

Un second B707 va permettre au Point de lancer des vols vers Ouagadougou 5 fois moins cher que UTA ou Air Afrique qui détiennent alors le monopole. Le tourisme solidaire se porte bien et créé un flux de passagers vers plusieurs pays africains impossible à transporter aux tarifs des vols réguliers. Mais "Le Point" gène de plus en plus de monde. "Point Air" est officiellement créé en 1981.

Trop bruyant pour certains aéroports, les B707 sont abandonnés pour le DC8. A partir de 1982, les ouvertures de lignes se succèdent vers La Réunion et les Antilles depuis l'aéroport de Bâle-Mulhouse. L'autorisation de vol de la DGAC exige comme condition express de transporter 50% d'étrangers, Suisses ou Allemands. (!)

Les deux DC8 du "Point Mulhouse" sur le parking de l'Euroairport (aéroport de Bâle-Mulhouse)

D'autres projets sont dans les cartons pour les quelques 700 000 membres de l'association "Le Point Mulhouse" avides de voyager. Par exemple Paris-Figari à 680 F l'AR contre 1600 F par Air France. Pour le vol retour, certains sièges sont même offerts plutôt que de rester libres.

         

 Les succès des vols de "Point Air" lui valent même une grève chez Air France, jalouse de son monopole. Alors les grands moyens sont employés pour tuer "Le Point". Des "contrôles inopinés" des fonctionnaires de la DGAC sont effectués sur les avions du Point et concluent  à des infractions à la sécurité. Les 2 DC8 sont immobilisés au sol durant 6 semaines, le temps de couler les finances de l'association qui doit rapatrier ses voyageurs sur des vols réguliers au plein tarif, bien évidemment.

La compagnie aérienne Point Air ainsi que l'association Le Point Mulhouse vont déposer leurs bilans en 1988 et les avions seront vendus. Quelques avoirs seront repris par Minerve qui va créer une filiale sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse: "Jet Alsace". Elle va durer quelques années avant de disparaître aussi.

De son côté Maurice Freund va prendre du recul, écrire un livre et...retourner en Afrique. Au début des années 2000, il va créer une nouvelle association, selon les mêmes idées que , c'est avec la compagnie aérienne , histoire de découvrir la réalité africaine autrement qu'avec les circuits traditionnels. Un vœux pieu, une volonté farouche ou un besoin réel ? L'avenir seul jugera si à 30 ans d'écart,  l'idéal humaniste des "68 hards" (!) survit encore aujourd'hui. Une adresse à consommer sans modération: http://www.point-afrique.com/