L'accident du DC6 F-BGOD

 
 
 

Le DC6B de la TAI immatriculé F-BGOD

Le 20 février 1956, le DC6 F-BGOD de la TAI (Transports Aériens Intercontinentaux, ancêtre de l'UTA) en provenance de Saigon et à destination de Paris s'écrasait dans le désert lors de son approche vers l'aéroport du Caire.  On va déplorer 52 morts sur les 56 passagers et 8 membres d'équipage présents à bord.  12 survivants donc dont les deux pilotes et les membres de l'équipage présents dans le poste.

Le Commandant de bord, gravement blessé, fut inculpé et condamné par la justice française pour homicide involontaire, maladresses, imprudence et négligence dans la conduite du vol.

C'était la première fois qu'un pilote Commandant de Bord était condamné par un tribunal "civil" après une catastrophe aérienne. Ce ne sera pas le dernier comme si cela pouvait conjurer un mauvais sort ou servir d'exemple en sachant que le pilote est toujours aux premières loges en cas d'accident.

 

Le même F-BGOD à l'escale

L'avion effectuait une liaison régulière de Paris à Saigon via Le Caire et Karachi. C'est lors du vol retour  depuis Saigon et après s'être posé à Calcutta pour une escale technique, puis Karachi, que le DC6 s'approche du Caire où un autre équipage doit prendre la relève. Le CdB Charles Billet en charge d'une deuxième fonction d'instructeur laisse son copilote Robert Rolland, pilote confirmé mais en phase de test pour l'approche aux instruments, effectuer une approche ILS vers Le Caire.

 
 

A 4h35, le BGOD s'annonce à la tour à 15 NM de la piste. Mais un vent inopiné du nord et une mauvaise réception de l'ILS l'avait fait dériver avant qu'une erreur altimétrique de 600 ft ne lui fasse heurter le sol où il prend feu. Il est un peu moins de 5h. Les survivants sont secourus par des touaregs et repérés par hasard par un avion de liaison de BP vers 7h puis par un pilote de la TWA qui a entamé des recherches avec son Cessna personnel qui a décollé à 6h45 sans autorisation. Vers 7h30, un convoi d'ambulances est parti vers Suez pour finir par s'ensabler à bonne distance du lieu du crash.

L'équipage de relève de la TAI a été le seul à s'inquiéter du retard de l'avion à l'aéroport du Caire. Il découvre les 3 contrôleurs de la tour en train de dormir 20 minutes après l'heure estimée d'arrivée du DC6. Ils n'avaient pas reçu de consignes pour une telle situation et réglementairement, aucun avion ne pouvait décoller avant 8h du matin pour faire des recherches. L'armée de l'air égyptienne mettra 4h avant d'envoyer un hélicoptère. L'évacuation des blessés se fera finalement par camion militaire sur des pistes défoncées.

 
 

Les journalistes de la presse égyptienne n'ont pas plus de culture aéronautique que bien d'autres de leurs confrères: "Le Commandant et l'équipage, seuls survivants ont sauté par la porte de l'avion avant le crash dès qu'il ont vu l'accident inévitable. C'est pour ça qu'ils sont rescapés" ou bien "Le Commandant de bord a quitté son siège et est parti se reposer laissant son copilote faire l'approche". Mais tous ont tenu à préciser que l'organisation des secours égyptiens a été parfaite!

 

Une enquête a eu lieu en France et en Egypte où en novembre 56,  8 mois après l'accident, la commission des bords du Nil conclut comme causes probables de l'accident:

Le manquement du commandant de bord dans son rôle de moniteur à l'égard du copilote pendant une procédure d'approche directe et la foi exclusive de ce dernier en ses instruments, pour situer sa position par rapport à la piste à une altitude inférieure à l'altitude minimale de sécurité.

Le facteur fatigue ne doit pas être écarté.

L'équipage avait 26h30 se service dont 21h30 de vol au moment de l'accident. Sans être une norme, les règlements de l'époque n'avaient de loin pas la rigueur d'aujourd'hui. 17 familles de victimes vont retenir le terme de "manquement" du CdB pour déposer "plainte contre X". Seul le CdB sera inculpé, le copilote Robert Rolland aux commandes bénéficiera d'un non-lieu.

 

Le F-BHEF, autre DC6 de la TAI "petit frère" du F-BGOD

Aussitôt inculpé, Charles Billet, qui a quitté son métier de pilote entretemps, est confronté aux experts judiciaires: "Les questions que me posaient les experts montraient qu'ils possédaient des choses de l'air une connaissance superficielle et essentiellement théorique, ce qui ne les empêchait pas d'énoncer avec autorité un certain nombre d'affirmations qui constituent des énormités aux yeux des navigants authentiques [...] Leur rapport était un véritable réquisitoire comme moi [...] J'ai réfuté point point leurs affirmations, croyance erronée, fausse route, reconstitution imparfaite".

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Charles Billet fait son propre examen sur les causes étranges de l'accident:

- Tous les membres de l'équipage ont surveillé les altimètres à un moment ou un autre et sont unanimes pour affirmer qu'il indiquait plus de 2000 ft, or la dune du crash est à 1400 ft de hauteur. Incompréhensible!

- Nous avons été dérivé vers le sud à notre insu, n'ayant reçu aucune information météo fiable, dans une zone avec un faible relief.

- La réception de l'ILS était mauvaise et lorsque nous avons voulu revenir sur la route nominale, nous étant aperçu de la dérive, l'aiguille de l'ILS est revenue au centre indiquant que nous venions de couper l'axe du  localizer. Le Copilote Rolland a aussitôt tourné à gauche au cap 230 pour rejoindre. Quelques secondes après, c'était l'accident.

- Pas de cause unique donc, mais un enchainement de circonstances.

 

Le poste de pilotage d'un DC6B

Le procès

Le 9 avril 1964, 8 ans après l'accident s'ouvre le procès...dans la salle des assises! On découvre alors des us et coutumes et des impressions d'audience que l'on va retrouver des années plus tard lors d'autres procès aéronautiques en France.

Un procès technique bien sûr. "On voit bien que malgré leur bonne volonté, les magistrats ont du mal à saisir toutes les nuances d'une profession de haute technicité. Les gens de mer ont un tribunal maritime, ne pourrait-on pas envisager un même tribunal pour les aviateurs? "écrira le journal "Le Monde".

Charles Billet remarquera, un peu écœuré, que ses témoins, pilotes de ligne à Air France et UTA, général d'Aviation, contrôleurs en vol, qui parlent de leur vécu n'ont que peu de poids face aux considérations des experts du tribunal. Les témoignages de Jean Dabry, compagnon de Mermoz ou de Maurice Bellonte , pionnier de la traversée de l'Atlantique avec Dieudonné Coste, tous deux à l'expérience incommensurable n'auront pas plus de poids pour les juges que le duo de salariés de Thémis, assermentés tout de même!

"Le Procureur dispose d'un tableau noir et craie en main, explique comment tout s'est passé, comment au lieu d'atterrir sur la piste du Caire, le DC6 s'était retrouvé nez à nez avec le sol. Monsieur le procureur SAIT, Charles Billet  avec toute son expérience, ne sait toujours pas comment, alors que les altimètres marquaient 600m, l'impact s'est produit à une altitude de 400m! " écrira Charles Billet dans son livre.

N'est-il pas dangereux de ne pas regarder dehors en pilotant pour voir les lumières de la ville? Etait-il vraiment nécessaire d'obliger le copilote à faire cet exercice d'atterrissage ? demanderont les juristes.

"Les experts partent du postulat du pilote coupable et agrémentent ensuite leurs dires d'affirmations théoriques sorties de leurs lectures mais loin du contexte contraignant du pilotage en ligne. Chacune des affirmations des experts, excellents pilotes en chambre, était réduite en poussière par Maurice Bellonte ou Charles Billet" écrira un journaliste.

 

Un soir, un coup de téléphone discret va informer Charles Billet d'un étrange paramètre. Le signal reçu par le DC6 et qui l'a fait tourner à gauche était celui d'un ILS clandestin de l'armée de l'air égyptienne positionné plus au sud. L'informateur sera entendu à huis clos par le tribunal qui suspendra le procès. Le renseignement va être recoupé et analysé et s'avèrera crédible. Cet ILS pirate n'était ni plus ni moins que l'équipement de secours de l'aéroport du Caire que les militaires "empruntaient" pour entrainer leurs pilotes sur des pistes désaffectées. Il était bien entendu réglé sur la même fréquence que l'équipement en fonction sur l'aéroport du Caire et les pilotes du DC6 ne pouvaient pas le savoir.

Cette nuit là, le F-BGOD est passé par là au mauvais moment.

Localizer de l'ILS

Sur cette vue, l'avion doit tourner à droite pour rejoindre l'axe de piste

 

Le verdict tombe le 11 juillet 1964: Charles Billet est coupable des délits d'homicides et blessures involontaires et de la contravention de blessures involontaires et est condamné à 5000 francs d'amende.

Charles Billet est révolté par les attendus car, écrit-il, " on peut dire qu'on reconnait dans ce jugement une utilisation systématique du travail des experts alors que l'inanité de leurs conclusions a été démontrée au cours des débats et un mépris total pour les arguments de la défense et les éléments apportés par les seuls témoins dignes d'intérêt, les seuls gens compétents, les navigants".

Il va faire Appel à la suite de la Compagnie UTA et des parties civiles des familles de victimes, déboutées pour raison de "compétence territoriale". Le procès se déroule un an plus tard et transforme l'amende en amende avec sursis. Ainsi les experts judiciaires ne sont pas désavoués!

 

Le livre de Charles Billet qui a librement inspiré ces textes

 

L'auteur de ce site a pu assister aux deux procès de Habsheim ainsi qu'à ceux du Mont Sainte Odile. La justice, ses membres et ses experts ont opéré de la même manière selon des principes de fonctionnement qui ne peuvent en aucun cas faire éclater la vérité sur les causes profondes directes et souvent indirectes d'un crash aérien. Celles-ci ne sont pas apparues dans les verdicts de ces deux affaires. Pour le Concorde, rien de mieux!

 Les procès d'Air Moorea et de l'AF 447 restent à venir mais ne nous berçons pas d'illusion. Aucun contre-expert de la défense ne sera entendu, voire écouté, comme ils pourraient l'être aux États-Unis par exemple.