Le Crash de
Habsheim, c’était il y a juste 20 ans.
Combien de jeunes pilotes aujourd’hui
aux commandes d’Airbus A320 étaient encore en culotte courte ce
26 juin 1988, et combien d’autres, à peine plus âgés n’ont pas
saisi la portée de l’évènement qui venait de se produire ?
Les images diffusées en boucle sur
les télévisions ainsi que les photos et les articles de presse
n’ont pas manqué pour s’interroger sur les causes de cet
accident filmé quasiment en direct.
Mais déjà après 24h de réflexion et de
contacts idoines, le Ministre des transports et le Procureur
de la République de Mulhouse avaient conclut à une erreur
humaine de l’équipage.
Du rapide et du bien fait.
Aujourd’hui, on peut s’interroger si
les évènements du 26 juin 1988 et des mois suivants pourraient
se dérouler de la même manière ?
Souvenons nous de la méthode brutale,
expéditive et grossière de la gestion de cet accident qui a créé
un doute planétaire quand aux performances des avions Airbus.
Doute entretenu et même aggravé après chaque nouveau crash par
l’accusation systématique de l’équipage : c’est une erreur
humaine qui est la cause de l’accident.
Habsheim n’était que le premier et le
plus médiatisé des accidents d’A320.
Mais Habsheim, c’était surtout la
condamnation de l’équipage avant tout travail d’expertise ainsi que
des enquêtes administratives et judiciaires dont les conclusions
étaient annoncées avant même l’écriture de la première ligne du
rapport.
Dans les années 90, quatre procès,
deux en diffamation et deux au pénal ont permis de n’écouter et
d’entendre que les bonnes paroles qui cadraient avec la version
officielle et d’en tirer bien entendu les conclusions propres à
innocenter l’avion et ses systèmes.
Fait rare, l’intervention d’un juge
d’instruction avait permis de lancer effectivement une enquête
judiciaire indépendante de l'enquête administrative. La suite des évènements n’a malheureusement pas tenu
les espoirs placés dans cette dualité. D’ailleurs, la tutelle
aéronautique fait actuellement tout son possible pour récupérer
l’exclusivité et rétablir l’unicité des enquêtes.
Mais avec la technologie de 2008
appliquée au scénario de 1988, les choses se seraient-elles
déroulées autrement ? Simple hypothèse bien sûr puisqu’on ne
refait pas l’Histoire.
Tout d’abord, avec plus de 1500
modifications, probablement plus de 2000, selon des sources
autorisées, l’A320 a bien évolué pour tenir compte des accidents
successifs en tête desquels vient le crash de Habsheim, même si
jamais aucun dysfonctionnement de l’appareil n’a été
officiellement admis par le constructeur, bien au contraire.
Pour un appareil régulièrement au
dessus de tout soupçon, 2000 modifications, ce n’est pas si
mal !
Bien des choses ont
changé durant ces deux décennies.
Les « boîtes noires » par exemple
sont aujourd’hui filmées et photographiées et leurs numéros de
série relevés en public. Plus question d’annotations vagues au
crayon à l’abri des regards indiscrets par un subalterne
obéissant puis de transport secret au
milieu de la nuit pour ces importantes pièces à conviction.
Autres témoins, les vidéos
amateurs enregistrées en 1988 en analogique étaient difficilement
exploitables à cause de la mauvaise qualité du support et du
signal. L’approximation dans l’étude qui en a découlé a permis
bien des interprétations voire des refus d’analyser certaines
séquences. Aujourd’hui, les vidéos tournées lors de l’accident
seraient cinq ou dix fois plus nombreuses qu’alors avec un son
des moteurs plus précis et mieux exploitable.
Ainsi l'analyse de la bande son du CVR
par un expert de la défense, certifiée avec des coupures et
refusée comme telle par le tribunal serait aujourd’hui criante
et scandaleuse de vérité grâce aux techniques publiques
courantes d’analyse modernes.
A l'inverse, les photos argentiques dont l’origine
était facilement authentifiable par les laboratoires et les
experts criminologues en photographies, mais dont le grain et la
définition avaient des limites physiques et chimiques pouvaient
servir de preuves judiciaires s’il plaisait au juge. Les photos
numériques actuelles ne le pourraient que plus difficilement.
Les vidéos « témoins » tournées comme
« authentiques » par les experts lors de leurs pérégrinations
chez les constructeurs aéronautiques et présentées comme telles
au tribunal seraient risibles aujourd’hui.
On l’a constaté lors des procès du Mt
Ste Odile, un timide mais réel échange de vue s’est déroulé
entre experts des différentes parties lors des audiences, même
avec les victimes parfois. Un peu
comme une amorce de débat contradictoire. Que n’aurait-il pas
apporté aux procès de Habsheim !
La reconstitution de trajectoire en
visualisation 3D selon les paramètres du DFDR ou du QAR est
aujourd’hui un classique et la démonstration en a été faite par
deux techniques différentes pour le crash du mont sainte Odile.
Que pourrait bien donner le vol du Kilo Charlie si on tentait
cette reconstitution après le "traitement" des paramètres de vol
par les experts officiels de Habsheim?
Aujourd’hui,
l’histoire ne serait probablement pas la même.
Au fil de ces années, les pratiques
utilisées pour l’enquête et les expertises ont tout de même fait
des émules. L’intérêt aéronautique supérieur qui a commandé les
conclusions de toutes les expertises du crash de Habsheim a
inspiré d’autres pays dès lors que certains intérêts locaux,
touristiques, économiques ou nationaux étaient en jeu. Les
scrupules ont cessé lorsqu’il était admis que quelques victimes
ne pesaient pas lourd face à ces enjeux.
Inutile de donner une liste de toutes
ces conclusions tellement favorables à quelques lobbys et
tellement éloignées de la sécurité aérienne, les
professionnels du secteur la connaissent très bien, même s’ils
gardent le silence.
Justement, une prise de conscience de
ces professionnels de l’aérien et une mise en exergue des
égarements lors de l’enquête de Habsheim aurait peut-être permis
que certaines dérives ne s’installent pas et ne deviennent par
la suite un véritable mode de fonctionnement technique et
judiciaire.
Ce premier crash médiatique pouvait
produire de nouvelles normes si tous les membres de la grande famille
s’étaient rendus compte que l’on changeait d’époque avec une
nouvelle génération d’avions et une nouvelle distribution des
rôles dans l’aviation mondiale.
Malheureusement, la plupart des
parties prenantes, assistées de leurs conseillers, n’y ont vu que
leur intérêt à court terme, pensant benoitement que le crash de
Habsheim serait oublié rapidement dès lors que le coupable
désigné serait mis hors jeu par le système.
Mais aujourd’hui, 20 ans après, la
déplorable gestion de cette crise est patente. Evoquer le crash
de Habsheim dans les milieux aéronautiques fait dresser
l’oreille et bien rares sont ceux qui communient avec la thèse
chère au procureur et au ministre de l’époque : Le pilote est
seul coupable.
Du côté des victimes
Quels progrès n’ont-ils pas été
accomplis puisque d’une manière simple, on peut dire que les
victimes n’avaient aucun droit, sinon celui d’accepter
l’indemnisation plafonnée prévue par la convention de Varsovie
datant de 1929 et plus à même de protéger le transporteur qu’à
indemniser le passager.
Quand aux associations de victimes,
elles ne pouvaient pas faire entendre leur voix puisque
juridiquement, elles n’avaient pas pu exister au moment des
faits.
Aujourd’hui, les indemnisations sont
déplafonnées comme dans l’assurance automobile et les
associations de victimes se portent systématiquement partie
civile dans les procès.
Les derniers exemples en date, les
accidents du Mt Ste Odile, de Charm el Cheik, de la Martinique
ou de St Barth l’ont démontré.
De même, les associations ont accès
au dossier d’instruction tout en étant associées à l’enquête
judiciaire alors qu’en 1988, une véritable chape de plomb était
tombée sur l'instruction. Livrées à elles-mêmes, les victimes
n’ont jamais eu aucun contact avec les juges successifs ou avec les
experts. Il a fallu le rapprochement entre les passagers et
Michel Asseline pour commencer à suivre et à comprendre les
dessous de l’affaire.
Je me souviens encore d’une réunion
avec le transporteur et ses assureurs quelques mois après
l’accident. Alors que l’association des victimes du crash de
Habsheim demandait la reconnaissance d’un préjudice
psychologique pour les rescapés, il lui a été répondu : Ce n’est
pas possible, vous voulez créer un précédent ! Vous imaginez la
situation si toutes les victimes demain, nous réclament la même
chose ?
Les choses ont évolué et une telle
réponse serait impensable aujourd’hui. Habsheim a permis
d’ouvrir un nouveau chapitre là aussi.
Lors du dépôt de leurs statuts, la
majorité des associations inscrivent quasiment toujours leur
volonté de rechercher la vérité sur les causes du crash ainsi
que leur
soutien aux revendications indemnitaires des ayants-droits,
accompagné de la sacro sainte formule : plus jamais ça !
Dès lors, les associations se démènent et
s’informent au mieux, mais, limitées financièrement, elles ne
peuvent que rarement engager un expert « indépendant », qui
n’aurait de toutes façons aucun poids juridique puisque pas
nommé par l’autorité judiciaire. Ses compétences n’entrant même
pas en ligne de compte, il ferait de la figuration au tribunal.
Aussi ne rêvons pas, ce sera toujours
le combat du pot de terre contre le pot de fer. Une association
de citoyens contre les puissances de l’argent et le pouvoir.
C’est bien dans ce domaine qu’il reste un
combat à mener afin de ne pas permettre de conclure une enquête
par un monologue et permettre ainsi à des intérêts partisans
d’orienter les débats.
Autre aspect important apparu
récemment, la volonté du législateur de dépénaliser les délits
« non intentionnels ». Comme aucun constructeur d’avion n’a
jamais intentionnellement mal conçu un avion afin qu’il se
crashe, ni aucune compagnie aérienne volontairement programmé de
vol dangereux ni d’équipage incompétent, les tribunaux concluent
qu'ils ne peuvent condamner uniquement pour satisfaire l’exigence de
justice des victimes. La faute caractérisée ou la violation
délibérée des règles de prudence inscrites dans la loi limite à
présent singulièrement la pénalisation. Responsables mais non
coupables !
Ainsi se vérifient toujours les vers
de la fable de La Fontaine :
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Encore et toujours dans une période
récente, chacun a pu s’apercevoir que l’application des grands
principes de la sécurité aérienne résistait de moins en moins
bien aux impératifs économiques et que les prises de risques
quotidiens s’amplifiaient, y compris parmi les ténors du
secteur.
C’est donc pour le jour le plus
lointain possible, après un prochain crash malheureusement
inéluctable qu’il faut continuer à améliorer la position des
victimes et de leurs familles, des rescapés et de leurs
associations.
L’association des victimes du crash
de Habsheim a œuvré au mieux pour cela durant 20 ans.
Aujourd’hui, sa mission terminée, elle souhaite passer le flambeau.
Jean Claude Boetsch
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Sur le site du CERDACC, le journal des catastrophes, vous
pourrez lire une excellente interview du premier journaliste
arrivé sur les lieux de l'accident.
http://www.iut-colmar.net/internet/recherche/Jcerdacc.nsf/91fe2b771e4d47c1c12570bc004f07f3/0291e48f21d6f9b4c125747c0040615e?OpenDocument |