Février 1991
Rapport
d’accident sur les enregistreurs CVR et DFR
Avion : Airbus
Date : 26 juin
1988
Lieu :
Mulhouse-Habsheim, France
Historique de
l’investigation :
Il m'a été
demandé d'apporter mon aide au Tribunal français en examinant
l'enregistreur vocal du poste de pilotage (CVR = Cockpit voice recorder)
de l'Airbus qui s'est écrasé lors d'un meeting aérien le 26 juin 1988. Le
25 janvier 1991, Messieurs Jean Belotti et Max
Venet, experts près du Tribunal français, ont apporté à mon laboratoire de
Temple Hills, Maryland la bande CVR présumée comme étant la bande
originale et quelques copies sur cassettes et bande – à ‑ bande,
l'enregistreur CVP, ainsi que divers matériels. La mission qui m'a
été confiée et qui a été étendue à l'enregistreurs des données avion (DFR)
fut la suivante
1.
Analyse et identification des bruits perçus à l'audition de la prétendue
bande CVR "originale".
2.
Détermination, à l'aide d'un analyseur de spectre, de la vitesse de
rotation des moteurs et de la fréquence du réseau électrique de bord.
3.
Interprétation des bruits de "BANG‑BANG" de la bande.
4.
Effectuer toutes les observations utiles pouvant servir a établir la
vérité.
…/…
. . . DETAILS
TECHNIQUES DE LA PROCEDURE UTILISEE . . .
Concernant les commandes de
vol et des gaz
…/…
Page
4 :
C. Il m'a été
demandé d'identifier et d'analyser différents bruits sur la bande. La
plupart de ces bruits ont pu être directement identifiés et expliqués.
Nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux prétendus
décrochages des compresseurs (pompages) vers la fin de la bande.
A mon avis il y avait au total 4 pompages.
Ceux ‑ ci apparaissent vers la fin de la bande. Les deux premiers pompages
se sont produits lorsque le régime N2 a atteint 88% de puissance lors de
l'accélération. Les deux pompages suivants se sont
produits peu après, suivis immédiatement d'un arrêt
de l'alimentation
électrique. On peut voir que la vitesse de
rotation de l'un
des moteurs décroît à la suite des premiers décrochages. Je crois
que les réacteurs décrochaient par « ingestion » d’arbres.
D'autres
bruits étaient associés à la coupure et au démarrage de l'enregistreur CVR
et aux bruits et activités habituels rencontrés dans le poste de pilotage.
D.
N'ayant jamais volé dans un poste de pilotage d’Airbus, je n'ai pas pu
identifier les bruits de « Clac – Clac » qui se situent approximativement
à 4 ½ secondes avant la fin de la bande. Nous avons examiné l'hypothèse
que ces bruits puissent provenir du mouvement des manettes des gaz. Ceux
‑ci ne coïncident pas avec les données des deux enregistreurs DFR et CVR.
Les bruits d'accélération des moteurs et les données du DFR correspondent
mais ne semblent pas être en relation avec les « Clac – Clac ». Les « Clacs »
se sont produits avant la montée en puissance des moteurs.
E. Les données du DFR concernant la position des commandes des gaz
et ceux concernant l’accélération de l’avion semblent bizarres lorsqu’on
les compare avec le mouvement lent et volontaire des commandes des gaz au
moment du décollage. C’est comme si tout d’un coup l'ordinateur avait
découvert que les manettes des gaz demandaient la pleine puissance et
qu'il avait déclenché un saut passant directement du ralenti à 88,4% de la
puissance des moteurs.
Je
crois que cette zone devrait être étudiée plus en détails. Il pourrait
s'agir d'un problème de logiciel.
F.
Une autre zone qui me préoccupe se situe également vers la fin de la
bande. L'enregistreur des données de vol (DFR) indique, à la trame 272:3,
qu'une position du mini-manche d'environ 7 degrés commande un angle
d'attaque d'environ 29 à 30 degrés. Dans la trame 272:1 nous
pouvons observer qu'une position du mini-manche de 12,6 degrés ‑ c'est –à
‑dire le double ‑ résulte en un angle d'attaque de 30 degrés seulement.
Je
crois que cette zone de réponse des commandes
nécessite des recherches plus approfondies.
Si ces données sont utilisées par des algorithmes (dans l'ordinateur de
bord),
elles risquent de provoquer des signaux de commandes erronés.
Concernant l’accélération des moteurs,
G.
Il m'a été demandé d'examiner la vitesse de rotation des
moteurs pendant les dernières secondes du vol. Les données
techniques concernant la soufflante du réacteur (fan) et le premier
étage du compresseur ne nous étant pas connus, nous avons utilisé
une
méthode simplifiée qui consiste à faire la relation entre une
fréquence connue et une vitesse de rotation connue. Puisque l'avion
a
décollé à un régime de poussée réduite correspondant à 88,4%, il
nous était simple d'établir que la fréquence correspondante était de
2.650 Hz. Il apparaît que la fréquence qui nous intéresse résulte de
l'interaction des rotors NI et N2. Nous avons examiné les données
enregistrées de NI et N2. Pendant l'accélération des moteurs la
vitesse de rotation de la soufflante du réacteur Nl semble en
retard par rapport à N2, probablement à cause de la masse plus
importante de la soufflante du réacteur. L'examen des données de
puissance du DFR, correspondant à la zone d'accélération jusqu'au
décollage et leur comparaison avec l’augmentation de la fréquence
par
rapport au temps nous fournit une bonne corrélation avec N2. Les
fréquences de la soufflante du réacteur (NI) pour lesquelles il
existe une relation avec la puissance des moteurs sont relativement
basses et ce son a tendance à être masqué par le bruit d'ambiance du
poste de pilotage. La relation entre NI et N2 dans les deux phases du
vol :
vol
stable et accélération des moteurs est relativement complexe. Les données
fournies par AIR FRANCE n'ont pas clarifié ce domaine. Les données de AIR
FRANCE semblent se référer à une puissance nominale et une vitesse de
rotation stabilisée.
Les
durées d'accélération des moteurs, relevées par les deux enregistreurs :
CVR et DER sont suffisamment similaires pour établir que les deux bandes
nous fournissent les mêmes données.
Les
données enregistrées semblent être le meilleur indicateur pour la vitesse
de rotation des rotors du moteur. Le fabricant des moteurs devrait
être en mesure de fournir une indication correcte de la puissance des
moteurs à partir des données pour la vitesse de rotation du rotor. Le
graphique établi à partir de l'accélération du moteur sur l'analyseur de
spectre est visible pendant 1 3/13 secondes, ce qui correspond en gros à
la durée d’accélération de N2, relevée par le DFR. Il apparaît que les
moteurs atteignirent la puissance réduite de décollage à peu près au
moment où ils heurtaient les arbres. La puissance réduite de décollage
(88,3%) apparaît pour une vitesse de rotation de N1 de 88% et une vitesse
de rotation de N2 de + 96%. A peu près au moment où l’on entend les
décrochages des compresseurs, la valeur lue pour la vitesse de rotation de
N1 est de +84% et celle de N2 est de +92,5% sur le DFR. Le CVR montre une
valeur pour N2 de +96%, ce qui paraît élevé au vu de la vitesse de
rotation du rotor N1.
Les
caractéristiques d’accélération des moteurs sont correctes.
Observations finales
Pendant un examen de routine de l'enregistreur DFR, j'ai constaté qu'il
contenait 8 lignes de données toutes les secondes impaires alors qu'il ne
contenait que 4 lignes de données toutes les secondes paires.
L'erreur paraît être liée à l'avion. Elle devrait en tous cas être
explorée
Le DFR montrant
des signaux de commande inhabituels en ce qui concerne le système de
commandes de vol et de contrôle de la poussée des moteurs, j'en conclus
que des problèmes se sont posés, au cours de ce
vol, au niveau de l'ensemble "logiciel/matériel informatique/ utilisateur"
ou des problèmes d'interface homme ‑ machine. Ces problèmes devraient
faire l'objet d'un examen approfondi.
/Signature/
Paul C. Turner