Dès sa sortie de
l'avion, le Commandant de Bord, Michel ASSELINE, déclara que les moteurs
n'étaient pas repartis. Dès lors, une enquête minutieuse et irréprochable
s'imposait, tant sur
la procédure que les méthodes d'analyse, afin qu'à l'issue de cette
enquête, les responsabilités diverses puissent être établies.
La recherche de cette vérité
fut compromise dès le soir de l'accident. Les enregistreurs furent
soustraits au contrôle judiciaire, pour dix jours, avec l'approbation des
hauts fonctionnaires qui avaient pour mission de faire respecter le droit
et les règlements.
Dans un pays anglo-saxon nul
doute que ce laxisme surprenant aurait provoqué un scandale immédiat. En
France, qui se veut un pays de droit, la réalité fut toute autre.
Trois enquêtes ont été menées à leur terme pour expliquer ce crash :
Malgré les anomalies de
procédure et des constatations bizarres relevées sur le dépouillement des
enregistreurs de vol effectué par le Centre d'Essais en Vol de Brétigny,
aucune de ces commissions d'enquête n'a jugé utile de mener des
investigations déterminées et sans complaisance, pour établir si la
trajectoire obtenue des enregistreurs correspondait à celle réellement
suivie par l'avion. On a délibérément ignoré certains éléments qui
pouvaient conduire à une réalité que l'on ne voulait surtout pas
découvrir.
Pour jouer son rôle de
défenseur des intérêts de la profession et des deux pilotes ASSELINE et
MAZIERES, le SNPL n'eut guère de moyens OBJECTIFS d'enquête avant le début
septembre 1988, où nous disposâmes enfin de la transcription du CVR et des
listing du DFDR.
Jusque là, seules étaient
disponibles les déclarations de Michel ASSELINE sur la non reprise des
moteurs, qu'il fit à la sortie de l'avion accidenté, Il s'y est ajouté
l'analyse de notre collègue pilote Norbert JACQUET, qui au vu de la
trajectoire enregistrée sur la bande vidéo, a fait état publiquement de
ses suspicions sur les causes de cet accident (avec les conséquences que
l'on connaît : retrait de licence pour de prétendues raisons
psychiatriques et licenciement de la Compagnie AIR FRANCE sans
indemnités).
La presse fut par contre
informée du contenu du CVR et du DFDR par des indiscrétions distillées,
visant à faire porter toute la responsabilité de l'accident sur les
pilotes. Ces fuites contraires aux conventions internationales de
l'Aviation Civile furent rendues possibles par le manque de rigueur pour
le moins étonnant, voire éminemment suspect des intervenants de
l'Administration.
Devant les
nombreuses anomalies dans la conduite de l'enquête et l'étude des
enregistreurs, le bureau Air France/SNPL rédigea le 11 septembre 1988, une
synthèse intitulée "Crash A 320 : des enregistreurs à géométrie
variable, des anomalies, des incertitudes, des incohérences". Ce titre
évoque le contenu de ce rapport où apparaissent tous les doutes que nous
avions sur l'authenticité des enregistrements dépouillés. Ce rapport fut
transmis à la Commission d'Enquête administrative. Mais à cette époque, et
en l'état de nos investigations, le SNPL estima qu'il eut été
irresponsable de porter une accusation publique de falsification, dont on
mesure la gravité. Nous espérions alors que la Commission d'enquête
administrative saurait accomplir sa mission.
Nous n'étions pas seuls à
douter, et au sein de la commission d'investigation d'Air France, des
experts mettent en évidence une chose surprenante : l'intégration des
vitesses instantanées, seconde par seconde, donne une distance sol
inférieure à la distance orthodromique calculée à partir des coordonnées
géographiques ! Or, les coordonnées géographiques et les vitesses ont une
source de calcul commune : les centrales à gyrolaser. il s'en faut de 247
mètres, soit 5 secondes de vol, qui sont toujours aujourd'hui portées
manquantes à l'appel.
Au fil des mois et au fur
et à mesure que les anomalies se faisaient jour, elles étaient transmises
à la Commission d'enquête administrative, dont nous espérions qu'elle
saurait jouer son rôle d'investigation avec détermination, sans a priori,
sans complaisance, même pour la raison d'Etat, car un pays doit savoir
encaisser les aléas du développement de son industrie. Or le rapport final
de cette commission, non seulement ignore ou élude les données qui
justifiaient les doutes sur les enregistrements, mais encore occulte
certaines données qui pouvaient transformer ces doutes en certitudes.
Suite à ce rapport final
et devant toutes les questions restées sans réponse, le juge d'instruction
a décidé en janvier 1990 de confier une contre-expertise judiciaire à deux
experts judiciaires, Messieurs Belotti et Venet, tous deux pilotes de
ligne chevronnés.
Entre temps, en
prétextant un vice de procédure, la Chambre d'accusation de Colmar a
annulé certains actes judiciaires pris par le doyen des juges
d'instruction de Mulhouse pendant le congé pour maternité du juge en
charge du dossier. Alors que rien ne l'exigeait, cette Chambre
d'Accusation a décidé dans la foulée de retirer le dossier à Madame le
Juge Marchioni, du Tribunal de Mulhouse, pour le confier à un autre juge
d'instruction de Colmar.
Ce contretemps n'interrompt pas
la mission confiée aux deux experts d'enquête sur "l'authenticité et
l'intégrité des bandes d'enregistrements des paramètres de vol, sur les
transcriptions qui en ont été faites, ainsi que sur les conditions
d'accélération des moteurs qui équipaient l'avion". (extrait dépêche AFP
du 11.01.90).
De leur côté et
indépendamment de la contre expertise judiciaire lancée en janvier 1990,
le SNPL développe dans ce document toutes les raisons qui l'amènent à
douter.
La raison d'Etat
bien souvent évoquée par les responsables politiques arrive toujours à
justifier dans certains accidents, suicides, noyades, tout montage qui
permette de sauvegarder des intérêts
jugés supérieurs, en sacrifiant quelques individus.
Dans cette affaire de l'accident d'Habsheim, l'Etat doit aujourd'hui
rendre des comptes face aux questions posées par la magistrature, les
victimes de l'accident et les pilotes de ligne français. il devra
expliquer à l'opinion publique pourquoi il a couvert son Administration,
malgré les doutes existants, essayé de dessaisir les magistrats chargés
d'instruire le dossier, sanctionné l'équipage sans preuves d'une
quelconque négligence pour sauver les dogmes d'un constructeur.
P.
GILLE H. GENDRE
Président du Bureau Air
France Président du SNPL
LEXIQUE
Certains sigles aéronautiques doivent
être explicités afin de rendre la compréhension du texte plus aisée pour
les non spécialistes de l'aviation.
BEA : Bureau d'Enquêtes et Accidents. Dépend de l'inspection
Générale de l'Aviation Civile (théoriquement au moins). Le BEA relève du
Ministre des Transports.
CEV : Centre d'Essais en Vol. Celui de Brétigny est équipé pour
dépouiller les enregistreurs d'avions.
CVR : Cockpit Voice Recorder. Enregistre les conversations au
poste de pilotage sur une bande magnétique sans fin de 30 minutes
environ.
Certification Avion : Opérations d'homologation par
l'Administration des performances et matériels d'un avion, en fonction
de normes internationales.
CFM : Fabricant français (SNECMA) avec General Electric (
Etats-Unis ) du moteur CFM 56 qui équipe le A.320.
DGAC: Direction Générale de l'Aviation Civile.
DFDR
: Digital
Flight Data Recorder. Avec le CVR, il constitue "les boites
noires" de couleur orange. Y sont enregistrés sur une bande magnétique
de 25 heures et de façon digitale plus de 200 paramètres de l'avion.
FCOM
:
Flight Crew Operationnal Manual ( Manuel de vol ). Edité par
Airbus Industrie, déposé auprès de différentes autorités de l'Aviation
Civile des pays clients.
FADEC
: Full
Authority Digital Engine Computer. Ordinateur interposé entre les
manettes de poussée commandées par le pilote et les réacteurs. Assure
les différentes fonctions de réglage de cette poussée en fonction des
ordres pilotes transmis par l'intermédiaire du pilote automatique ou la
manoeuvre manuelle de ces manettes de poussées.
OEB : Operational Engeneering Bulletin. Document Airbus pour
informer les clients de particularités ou modifications non encore
incluses dans le FCOM.
PHR : Plan Horizontal Réglable, équipe tous les avions de ligne.
Situé à l'avant de la gouverne de profondeur, ce PHR (ex plan fixe) est
commandé par un moteur hydraulique commandant une vis sans fin qui fait
pivoter ce PHR à cabrer ou à piquer. Cette action permet au pilote
d'équilibrer l'avion pour n'avoir aucune action à exercer sur le manche
à balai, lorsque le vol est stabilisé.
SFACT : Service de la Formation Aéronautique et du Contrôle
Technique. Organisme de la DGAC chargé en particulier de toutes ces
questions de suivi technique et de certification des avions.
VSV
: Variable Stator Vanes. Placées sur le moteur, ces aubes
permettent d'obtenir un écoulement optimum de l'air, évitent les
décrochages du flux d'air sur les compresseurs, et particulièrement lors
des accélérations de poussée.