5. ACCÉLÉRATION DES MOTEURS
5.1. Les faits
* Le Commandant ASSELINE a déclaré:
- qu'il avait adopté pour cette
présentation en vol, un pilotage manuel au niveau de la commande des
gaz, ceci, pour plus de sécurité,
- que tout s'est passé normalement
jusqu'au travers de la Tour de contrôle, où il a remis les gaz en
avançant manuellement les manettes de poussée,
- que les moteurs n'ont pas répondu à
sa sollicitation,
- qu'il a vu arriver la forêt et tenté
d'imprimer une assiette à cabrer au moyen du mini-manche sans que les
gouvernes paraissent répondre à sa sollicitation.
* Le Commandant MAZIERES (faisant
fonction de second-pilote) a déclaré que les moteurs sont restés au
ralenti malgré la manœuvre du Commandant ASSELINE demandant la pleine
poussée.
* Un témoignage important est celui de
Mr LUCBERNET, employé sur
l'aérodrome et mécanicien avion
qui déclare avoir distinctement entendu deux pompages moteurs suivis à une
seconde d'intervalle d'une autre série de deux pompages. Il précise:
- qu'au moment ou il a entendu la
première série de pompages, l'avion n'avait pas encore touché les
arbres,
- que la deuxième série de pompages a
dû être provoquée par l'ingestion de feuilles et branchages au moment du
choc initial,
- qu'il n'a jamais entendu le bruit
caractéristique de remise de gaz depuis sa position d'observation.
* Un autre témoignage
important est celui de Mr NEUBERT. (Expert Judiciaire. Ingénieur ENSEEIHT.
Pilote Privé) qui a entendu un bruit étouffé de réacteurs, très différent
de celui d'une remise de gaz, et qu'il attribuait plutôt à la destruction
des éléments des réacteurs par les branches d'arbres aspirées et
"moulinées" par les turbines. Après avoir examiné l'état de la forêt, il
affirme, de façon absolument certaine qu'il n'y a eu aucune montée de
puissance des réacteurs, ni au dessus du terrain, ni ensuite dans les
arbres.
* Quatre autres témoins au sol ont
entendu le bruit de reprise des réacteurs.
* Vingt neuf passagers ont déclaré avoir
entendu le "bruit, le grognement", la "reprise" des réacteurs quelques
instants avant ou au moment du premier contact avec les arbres.
* AIRBUS INDUSTRIE a confirmé, dès le 27
juin, qu'il n'y avait pas de preuve de disfonctionnement des systèmes ou
moteurs avion et que la puissance de remise des gaz a été affichée 5
secondes avant le toucher les arbres, situés au bout de piste, alors
qu'une simulation en conditions semblables montre qu'il s'écoule 8
secondes entre l'instant ou l'on affiche la poussée et la prise
d'altitude.
* MM MAGANE et DE VILLENEUVE ont déclaré:
- que sur les deux
moteurs, on a constaté que les vannes VSV (dispositif anti-pompage
pilotant la variation du calage des aubes du compresseur) étaient dans
une position proche de celle du décollage, indiquant que le régime des
deux moteurs était élevé,
- que, de plus, les VBV (vannes de
décharge du compresseur) ont été trouvées fermées, indiquant que les
moteurs n'étaient pas au ralenti (sur le moteur droit, toutes les VBV
visibles étaient arrachées, sauf une, qui était en position fermée),
- que les premières constatations sur
les moteurs semblent indiquer que ceux -ci développaient une puissance
élevée au moment de l'accident.
* MM AUFFRAY et BOURGEOIS ont déclaré:
- qu'après examen de trois documents
confidentiels de CFM, (examinés et corrigés par eux), aucune
défectuosité, ni même anomalie, pouvant avoir existé avant le contact
avec les arbres, n'a pu être mise en évidence,
- que pendant l'accident, les moteurs
ont présenté une courbe d’accélération très voisine de celle des moteurs
de l'avion NO 2 utilisé pour la certification de type de l'avion A 320,
donc conforme à ce qu'ils devaient fournir,
- que l'accélération au moment de
l'accident a été légèrement supérieure à celle donnée par les mêmes
moteurs, lors du vol N04 de livraison à AIR FRANCE, pour une manœuvre
similaire (manettes avancées un peu plus lentement),
- que l'examen des vannes de décharge
(VBV) non détériorées à l'impact, montre qu'elles étaient en position
ouverte, ce qui est cohérent avec un fonctionnement du moteur à bas
régime, l'ouverture étant commandée par la régulation pour éviter
l'extinction moteur,
- que l'examen des VSV permet de
vérifier qu'ils sont en position proche de la fermeture, ce qui
correspond aussi à l'action normale de la régulation quand le régime
diminue,
- qu'il a été démontré que les moteurs
avaient eu une accélération parfaitement normale et même plutôt
meilleure que le minimum exigible, d'après le règlement de certification
qui précise que le temps maximal admissible, en configuration
atterrissage, entre la poussée du ralenti minimum de vol et la poussée
de décollage (TO/GA) est de 8 secondes,,
- qu'à leur demande, CFMI a démontré
que ce résultat n'aurait pas pu être obtenu si les VSV avaient souffert
d'un phénomène de stagnation (hang up) au moment de la remise des gaz
par l'équipage et que, par ailleurs, les conditions de la remise de gaz
et sa modalité d'exécution éliminaient totalement la possibilité
d'apparition de ces phénomènes.
On note dans le rapport définitif de la
Commission d'Enquête:
- que dès les premières
exploitations des enregistreurs (CVR et DFDR), il a été établi que les
moteurs avaient répondu à la commande de remise de gaz effectuée entre 5
et 5,5 secondes avant l'impact sur les arbres,
- que la Commission a donc centré ses
travaux sur la vérification des conditions de la remise de gaz portant
sur:
. la restitution la plus exacte
possible des paramètres des moteurs,
. la comparaison de l'évolution
constatée avec les caractéristiques normales de la certification.
- qu'elle a d'ailleurs participé à
l'expertise des moteurs, réalisée par le constructeur CFMI,
- que les résultats de ces
exploitations, sont parfaitement cohérents et montrent que les moteurs
sont remontés en puissance dès la commande de remise de gaz.
5.2.
Avis des experts
* Les experts BELOTTI et VENET font
les observations suivantes:
a) Des doutes subsistent sur le
fonctionnement des moteurs qui ont fait l'objet d'OEB (Opérations
Engineering Bulletin) publiés par AIRBUS INDUSTRIE, portant sur une
insuffisante d'accélération des moteurs à basse altitude à grande vitesse.
L'évocation par AIRBUS INDUSTRIE d'un défaut d'accélération en
phase de remise de gaz laisse
admettre qu'un vol à forte incidence pourrait entraîner les mêmes
perturbations sur le fonctionnement des moteurs qu'une vitesse élevée. En
effet, une remise de gaz s'effectue généralement, non pas à grande
vitesse, mais en phase d'approche ou d'atterrissage alors que l'avion est
à basse vitesse.
b) Les premiers experts semblent
méconnaître l'existence des OEB relatives au défaut d'accélération moteur
à basse altitude, dans lesquelles le constructeur indiquait qu'en l'état,
"seules des hypothèses pouvaient être formulées" et annonçait des
"investigations approfondies". Il recommandait aussi une procédure
particulière en cas de survenance de ce défaut d'accélération des moteurs.
c) Cette consigne du constructeur est
demeurée entre les mains de la Direction d'AIR FRANCE qui ne l'a pas
transmise à ses équipages, si bien que l'équipage de l'A 3220 accidenté ne
semblait pas disposer de cette information.
d) La position des dispositifs anti-
pompage (VSV et VBV) fait l'objet de déclarations contradictoires:
- MM MAGANE et DE
VILLENEUVE déclarent que, sur les 2 moteurs, on a constaté que les VSV
étaient dans une position proche de celle du décollage indiquant que le
régime des deux moteurs était élevé.
- Dans le Rapport
préliminaire de la Commission d'Enquête on lit que la position des VSV
correspond à un régime faible.
- Quant au Rapport
d'Investigation AIR FRANCE, il fait état d'une "position anormale" des
VSV.
e)
Les tarages des vérins
de commande des VSV étaient notoirement insuffisants sur la flotte
puisqu'ils ont été renforcés depuis l'accident. Il est donc difficile
d'imaginer que, moteurs asphyxiés et bourrés de branchages, ces aubes VSV
aient eu suffisamment de "muscles" pour se caler en position ralenti.
f) En août 1988, postérieurement à
l'accident et après expertise des réacteurs par CFM, il a été procédé par
les techniciens du dit motoriste et d'AIR FRANCE, à la vérification des 4
réacteurs des A 320 (GFKA et GFKB) dans les nuits de 23 au 24 et du 24 au
25 août. Cette vérification a montré, que 3 moteurs sur 4 avaient des
paramètres hors tolérances précisément en ce qui concerne les VSV. (Le
4ème moteur non critiquable à cet égard étant précisément celui qui avait
été changé à la suite d'un pompage, le 13 août)
g) Sur l'A 320, il n'existe aucune
liaison mécanique entre les manettes des gaz et les ordinateurs FADEC
contrôlant les réacteurs. Plusieurs cas de non réponse, ou de réponse non
conforme aux ordres du pilote ont été relevés par les équipages d'AIR
FRANCE et d'AIR INTER, (l'ordinateur se refusant à prendre en compte
l'ordre donné ou bien utilisant un programme dont la mise en oeuvre n'a
pas été souhaitée par le pilote).
h) Les conclusions de l'expertise des
moteurs, confiée au constructeur lui- même, ne figurent pas dans le
dossier d'instruction.
* En conséquence, les experts BELOTTI et
VENET estiment, en leur connaissance actuelle du dossier, que les éléments
sur lesquels se sont fondés les enquêteurs pour aboutir à leurs
conclusions concernant le fonctionnement des moteurs ne sont pas
suffisamment probants et comportent des contradictions et des incertitudes
liées à l'utilisation d'enregistrements dont la fiabilité et
l'authenticité peuvent être mises en doute pour les raisons évoquées plus
haut.
* Un plan d'actions sera soumis
prochainement à Mme le Juge MARCHIONI. Il comportera notamment un examen
des scellés et une nouvelle expertise des moteurs et systèmes de contrôle
de poussée.